Blocage administratif de sites internet sans contrôle par le juge et fort risque de saturation de la hotline du Ministère de l’intérieur au menu de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel
Paris, le 19 novembre 2013 – L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC), fondée en 2007 et qui regroupe les acteurs de l’internet communautaire, s’inquiète de certaines mesures proposées dans la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel et en particulier en son article 1er.
Cet article tend en effet à créer deux nouvelles mesures susceptibles d’avoir d’importantes conséquences néfastes. Il étend l’obligation de signalement de contenus en ligne, au risque de saturer totalement les équipes du Ministère de l’Intérieur en charge de lutter contre l’ensemble des contenus manifestement illicites. Mais surtout, il crée une mesure inconstitutionnelle de blocage de sites internet, sans aucun passage préalable par le juge.
Une extension de l’obligation de signalements qui nuira au travail des équipes du Ministère de l’Intérieur
Comme le projet de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’article 1er de la proposition de loi souhaite étendre le champ des obligations de signalement pesant sur les intermédiaires de l’internet en y incluant, aux côtés de contenus manifestement illicites, le cas des sites se livrant au proxénétisme.
Pour l’ASIC, cette mesure est contreproductive et dangereuse à plus d’un titre. Elle va aboutir à envoyer un très grand nombre de signalements aux services de police et en particulier à la plateforme de signalement de l’OCLCTIC (dite “PHAROS”). En effet, les intermédiaires de l’internet n’ont aujourd’hui pas les pouvoirs, ni la légitimité, de juger si un contenu relève ou non d’un de ces cas. Sans enquête préalable, sans vérification, ils sont dans l’impossibilité de se livrer à une telle analyse juridique que seuls les services d’enquêtes ou les magistrats sont en mesure et fondés de mener.
Le principe de précaution aboutira donc à adresser toutes ces notifications aux autorités répressives.
Or, force est de constater qu’aucune étude n’a été réalisée pour évaluer l’impact de cette mesure. De même, aucun moyen supplémentaire n’a été accordé au Ministère de l’intérieur pour gérer ce nouveau flux important de signalements. En 2012, PHAROS a enregistré plus de 120.000 signalements, traités par uniquement 10 personnes.
Comment est-il imaginable qu’en accroissant le nombre de signalements sans aucun moyen important supplémentaire, un traitement efficace de ces demandes soit réalisé ? Comment s’assurer que les contenus les plus ignobles ne soient pas purement et simplement perdus dans la masse des notifications qui seront reçues ?
Face à l’absence de discussion et de concertation sur ce sujet, l’ASIC appelle les membres de l’Assemblée nationale à supprimer cette mesure de la proposition de loi.
Un blocage “administratif” des sites contraire à la Constitution
Alors que sous la précédente législature, les membres du groupe PS de l’Assemblée nationale s’étaient opposés à toute mise en oeuvre d’un blocage par les fournisseurs d’accès à l’internet et sans passage préalable par le juge des sites Internet, l’ASIC s’étonne de la réapparition de cette mesure au sein de cette proposition de loi. Il demandait à l’époque l’instauration d’un moratoire.
Comme nous l’avons à plusieurs reprises rappelé, la volonté de l’ASIC et de ses membres de lutter contre la présence de contenus illicites sur la toile est totale. Chacun des membres de l’association coopère de manière étroite avec l’OCLCTIC, équipe qui fait un travail remarquable et qui doit être saluée.
La proposition de loi vise à compléter le cadre existant par un dispositif de filtrage au niveau des fournisseurs d’accès des sites contrevenant à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humain. L’ASIC souhaite d’abord rappeler que le retrait des contenus auprès des hébergeurs demeure la seule solution réellement efficace. Les dispositifs de blocage par l’accès sont contournables.
En outre, l’ASIC considère qu’une prise de conscience sur les enjeux liés à un dispositif de filtrage est nécessaire : une telle mesure risque de porter atteinte au principe essentiel de neutralité des réseaux. La mise en place de dispositifs de blocage doit donc être considérée comme exceptionnelle et limitée exclusivement aux contenus pédopornographiques et ne doit pas être étendue.
A ce titre, l’ASIC relève que cette proposition de blocage sans passage préalable par le juge est contraire aux principes posés par le Conseil constitutionnel.
Dans sa décision du 10 juin 2009, il avait ainsi considéré à propos de pouvoirs confiés à une autorité administrative en matière de coupure à l’accès sans passage préalable par le juge que ceux-ci “peuvent conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins”.
En outre, dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel avait validé des dispositions qui “ne confèrent à l’autorité administrative que le pouvoir de restreindre, pour la protection des utilisateurs d’internet, l’accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie infantile”.
Le Conseil constitutionnel avait, à cette occasion, réalisé un contrôle de proportionnalité impliquant plusieurs éléments (i) un blocage d’un site déterminé à raison de son caractère illicite, (ii) une volonté de lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs et (iii) une protection des utilisateurs d’internet eux-mêmes.
Or, il convient de relever qu’en l’espèce, la mesure ne réunit pas les critères imposés par le Conseil constitutionnel. En conséquence, il n’est pas possible pour les membres de l’Assemblée nationale d’instaurer une telle mesure de blocage sans passage préalable par le juge.
Seul un juge doit être en mesure d’ordonner une mesure de blocage d’un site internet tant cette mesure est susceptible (i) d’avoir des effets de bords non désirés (notamment quant aux dommages collatéraux générés par la mesure de blocage instaurée) et ainsi (ii) de porter atteinte à la liberté d’expression.
L’ASIC appelle donc les membres de l’Assemblée nationale à rejeter cette mesure et s’inquiète qu’à aucun moment la Commission spéciale n’ait procédé à l’audition d’acteurs concernés par la mesure.