L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) réunit depuis 2007 de nombreuses plateformes collaboratives en ligne. Toutes ont à coeur de promouvoir au sein de l’ASIC un Internet ouvert et responsable. Depuis plus de dix ans, l’ASIC participe aux discussions sur l’encadrement des activités se déroulant sur Internet. De la réforme de l’audiovisuel à celle de la propriété intellectuelle, de la protection des données personnelles à celle des plus jeunes publics, l’ASIC cherche systématiquement à ouvrir un dialogue large et constructif afin de faire émerger des solutions pragmatiques et efficaces.
C’est dans cet objectif que l’ASIC a récemment appelé de ses voeux un dialogue constructif et un juste équilibre entre protection du droit d’auteur et capacités techniques et humaines de chacun dans le cadre des débats autour de la proposition de directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. A ce titre, l’ASIC demeure convaincue que les articles 11 et 13 tels que discutés par le Conseil de l’Union européenne demeurent une solution d’équilibre entre l’ensemble des parties prenantes.
Cet article fait aujourd’hui l’objet des principales critiques de la part de nombreuses utilisateurs, entreprises, associations de défense des libertés ou représentant des entreprises. Encore récemment, c’est l’industrie de l’audiovisuel et du sport qui s’est alarmée de cet article sur les effets de bord qu’il pourrait créer. Pour l’ASIC, la mise en oeuvre d’un régime spécifique de responsabilité sur l’ensemble des plateformes – sans aucun garde-fou – serait de nature à porter atteinte, non seulement à la liberté d’expression, mais aussi à la création car elle pourrait inciter de nombreux acteurs de l’internet à mettre en oeuvre des solutions radicales de détection et de blocage des contenus proposés par les utilisateurs.
Si le débat s’est surtout positionné autour d’une opposition frontale, le réduisant à un “pour ou contre le droit d’auteur”, l’ASIC a toujours appelé de ses voeux une solution intermédiaire qui puisse permettre de lutter efficacement contre la contrefaçon en ligne tout en permettant de préserver les libertés de création et d’innovation.
A ce titre, la solution retenue par le Parlement européen nous semble particulièrement déséquilibrée et nous souhaiterions que l’ensemble des parties prenantes puissent s’entendre sur une solution intermédiaire telle que celle proposée récemment par la présidence autrichienne du conseil de l’Union européenne.
Il nous semble nécessaire de partir du postulat selon lequel le régime de l’article 13 aura vocation à s’appliquer à l’ensemble des plateformes, petites ou grandes, filiales de grands groupes internationaux ou simples start-ups. Si l’idée existe de créer un régime spécifique pour les plus petits acteurs ou de les exclure totalement du champ d’application de l’article 13 dans le but de protéger les jeunes pousses, une telle approche n’aurait pour effet que de créer un plafond de verre que ces entreprises ne seraient jamais en mesure de dépasser. Créer un mécanisme imposant des obligations particulières et supplémentaires à partir d’un certain nombre de vues, de connexions ou d’utilisateurs, aurait pour effet d’imposer un coût de mise en conformité aux entreprises tellement important que celles-ci chercheraient à rester sous le seuil et, de facto, à limiter leur croissance.
L’ASIC recommande l’adoption d’une approche pragmatique et souhaite que le régime de responsabilité des acteurs du numérique prenne en compte les efforts mis en oeuvre par ceux-ci, et non les seuls résultats obtenus. Un petit acteur du numérique ne sera jamais en mesure d’investir des centaines de millions d’euros dans un mécanisme de détection automatique de toutes les oeuvres protégées (qui n’existe d’ailleurs pas à ce jour) et il semblerait donc raisonnable que sa responsabilité soit appréciée au regard des moyens qu’il aura mis en oeuvre. A l’inverse, de tels acteurs peuvent imaginer d’autres outils, proportionnés à leur taille, qui permettront de tendre vers les objectifs recherchés, en coopération avec les pouvoirs publics et en s’inspirant des pratiques efficaces des plus grandes entreprises.
Une telle approche reposant sur les “meilleurs efforts” des plateformes, (autrement dit, sur une obligation de moyens) permettrait de rejoindre la jurisprudence française qui recherche régulièrement la mise en oeuvre, par les intermédiaires, de “diligences appropriées”. Antérieurement à l’adoption d’un régime de responsabilité aménagé, les juges analysaient les pratiques misent en oeuvre par les intermédiaires de l’internet afin de déterminer s’ils avaient mis en oeuvre les mesures que l’on peut attendre de tels acteurs. Postérieurement à l’adoption du régime français transposant la directive 2000/31/CE “sur le commerce électronique”, les juges ont poursuivi cette analyse en définissant, à plusieurs reprises en matière de contrefaçon, une obligation de prendre “les mesures utiles pour prévenir de nouvelles mises en ligne” tout en procédant à une analyse fine des moyens permis et des techniques utilisées.
Enfin, il est à noter que cette approche est aussi celle portée par le Président de la République qui, dans son discours du 12 novembre 2018 en ouverture du Forum sur la gouvernance de l’Internet, a défendu un nouveau modèle de régulation pour garantir “un haut niveau d’exigence et de qualité dans la modération des contenus [que les plateformes] hébergent et c’est cette méthode que je souhaite que nous puissions propager, diffuser.“ Le Président de la République a appelé de ses voeux une plus forte coopération entre les acteurs dans les moyens mis en oeuvre – afin, de pouvoir renforcer, au regard des compétences de chacun, la lutte contre les contenus haineux en ligne.
Il doit en aller de même en matière de lutte contre la contrefaçon en ligne. Cette protection des droits de propriété intellectuelle ne doit pas reposer sur un objectif technologiquement irréaliste qui aurait pour effet de soumettre un très grand nombre d’acteurs, et en premier lieu les plus petits, à des contraintes qu’ils ne seraient ni économiquement, ni humainement capables d’assumer.
En outre, une telle approche stricte aura pour effet de déresponsabiliser les titulaires de droit dans leur devoir de coopération avec les acteurs du numérique. En exigeant une “tolérance zéro” sans fournir les éléments d’appréciation permettant de justifier précisément d’une atteinte à un droit d’auteur (quid des exceptions de courte citation, de parodie, etc.), les titulaires de droit inciteront de facto un acteur du numérique à supprimer l’ensemble des contenus pour lesquels un doute est susceptible d’exister ou un outil technique de détection n’existe pas.
En conséquence, l’ASIC propose que l’article 13 fasse peser un régime de responsabilité sur les intermédiaires de l’Internet qui soit déterminé en fonction des moyens tant techniques qu’humains qui puissent être mis en oeuvre par chaque intermédiaire, plutôt que de l’apprécier de manière aveugle en fonction de la présence ou non de contenus contrefaisants.