L’ASIC salue le travail réalisé par l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (ARCEP) à l’occasion de la consultation publique sur ses éléments de réflexion et premières orientations sur la neutralité de l’internet et des réseaux.
Créée en décembre 2007, l’ASIC (www.lasic.fr) est la première organisation française qui regroupe des intermédiaires du web 2.0 – moteurs de recherche, plateformes de transactions, sites de partage de contenus, réseaux sociaux, etc.
En France particulièrement, la démocratisation des offres haut débit a permis le développement rapide de nouveaux services Internet, souvent qualifiés de web 2.0.
Cet écosystème ouvre de nombreuses opportunités de développement de services, souvent par de tout nouveaux acteurs. Au sein de l’ASIC notamment, les « jeunes pousses » françaises (Dailymotion, PriceMinister, SkyBlog, Exalead, Kewego, Zlio, AlloCiné, BlogSpirit, LaCartoonerie, OverBlog, Vivastreet, Wikio, Yoowalk) voisinent avec les historiques de l’Internet, comme AOL, eBay, Google, Yahoo, MySpace, Wikimedia, Facebook, ou Microsoft.
Le débat sur la neutralité d’Internet est clé pour l’ASIC, c’est d’ailleurs la motivation première qui a conduit à la fondation de l’association.
L’ASIC souhaiterait donc apporter au débat quelques commentaires sur les éléments de réflexion et les premières orientations formulées par l’ARCEP.
Première orientation sur l’ouverture et la neutralité d’accès
L’ASIC considère fondamentale cette première orientation proposée par l’ARCEP qui reconnaît des principes d’ouverture en termes de contenus, d’applications et de terminaux. Il convient de souligner que cette orientation a également fondé les démarches entreprises par les régulateurs norvégien, américain et canadien.
Seconde orientation sur l’encadrement des mécanismes de gestion du trafic
L’ASIC soutient les principes recommandés par l’ARCEP pour encadrer toute gestion du trafic : caractère exceptionnel, pertinence, proportionnalité, efficacité, transparence et non discrimination.
Cependant, concernant ces deux premières orientations capitales, l’ARCEP ne précise ni n’esquisse de modalités de mise en oeuvre ou de contrôle de ces principes. Traduction législative ou réglementaire ? Charte d’engagements des fournisseurs d’accès ?
Troisième orientation sur le niveau de qualité de service de l’accès à Internet
Poser le principe que l’accès à Internet doit présenter une qualité de service suffisante et transparente est certainement positif. L’ASIC attire simplement l’attention sur l’effet limité qu’aurait la définition d’une qualité de service minimale de l’accès à Internet qui n’évoluerait pas dans le temps avec les technologies.
Sur la quatrième orientation relative aux services gérés
Pour l’ASIC, la neutralité des réseaux est effectivement compatible avec l’existence et le développement de services gérés. Il est important que l’ARCEP ait énoncé les principes encadrant le développement des services gérés, en particulier le respect du droit de la concurrence et la non dégradation de la qualité de l’accès à internet.
Des fournisseurs de contenus ou d’applications peuvent avoir recours aux services gérés pour maitriser leur qualité de service. Il est naturellement capital qu’à côté des services gérés proposés par les fournisseurs d’accès, des alternatives puissent continuer à exister pour les PSI. Par exemple, il ne faudrait pas que seuls les fournisseurs d’accès soient en mesure d’offrir des prestations de Content Delivery Network (CDN). L’accès à certaines ressources nécessaires pour la maitrise de la qualité de service par les PSI peut représenter un enjeu concurrentiel.
Sur la cinquième orientation relative au suivi du marché de l’interconnexion des données
L’ASIC s’inquiète de cette orientation et des pistes évoquées par l’ARCEP dans cette partie d) (pages 25 et suivantes). L’ARCEP évoque en effet une analyse du marché – et donc une régulation potentielle – de la « terminaison d’appel data ». Or la mise en place d’une régulation de la terminaison d’appel data revient à entériner le « peering » payant, c’est-à-dire mettre en place un péage pour les PSI. Parler du suivi de ce marché de la « terminaison d’appel data » part du postulat que la symétrie du trafic IP échangé est l’indicateur qui doit faire foi dans les accords entre fournisseurs d’accès et PSI. Or, les accords de peering qui se sont développés entre PSI et FAI sont basés sur l’objectif commun d’offrir à l’utilisateur final une qualité de service optimale.
Du point de vue du PSI, le peering présente l’avantage de supprimer les intermédiaires entre ses contenus et applications et les internautes raccordés à un fournisseur d’accès, optimisant ainsi la qualité de service. Du point de vue du fournisseur d’accès, le peering présente le même avantage de supprimer les intermédiaires entre son abonné internaute et les contenus et applications présents sur un autre réseau. Ainsi il propose à ses abonnés une meilleure qualité de service pour l’accès aux contenus et applications.
Au total, ce n’est pas tant la symétrie du trafic échangé qui motive les accords de peering qui se sont développés entre PSI et FAI, mais une qualité de service optimisée pour des contenus et applications attractives pour les internautes. Le peering ne repose pas sur le postulat que les deux réseaux interconnectés doivent être de même taille. Certains opérateurs ou acteurs de l’internet ont des politiques de peering très ouvertes et acceptent d’échanger du trafic en direct avec des réseaux plus petits, précisément dans un objectif d’optimisation de qualité de service.
Au demeurant, il convient de souligner que le peering n’est pas gratuit pour un PSI. Il doit acheminer le trafic jusqu’à un point de peering et investir ou co-investir dans un routeur. A ce titre, le paramètre quantifiant l’investissement du PSI n’est pas le volume de trafic mais la capacité de l’interconnexion, en d’autres termes la taille du tuyau mis en place avec le FAI.
Il convient également de souligner les efforts déployés par les PSI pour maitriser la qualité de service proposée à leurs utilisateurs à travers les content delivery networks (CDN). Les CDN sont des serveurs positionnés proches de grappes d’internautes et sur lesquels sont prépositionnés les contenus les plus populaires. Certaines estimations indiquent qu’un CDN permet de traiter 90% du trafic d’un site de partage de vidéos ! Autant de trafic en moins à prendre en charge par le réseau de distribution. Ces serveurs représentent un investissement pour les PSI. Ainsi une analyse de l’ARCEP des échanges de trafic entre PSI et FAI ne doit pas se résumer à l’interconnexion data, mais doit aussi prendre en compte le recours aux CDN. A cet égard, l’ASIC suggère à l’ARCEP, dans la présentation du contexte et des enjeux (partie « I – Contexte et enjeux ») d’ajouter une présentation et une définition des différentes solutions utilisées aujourd’hui pour l’échange de trafic entre PSI et FAI (peering, transit, CDN) afin de mettre en évidence les différents investissements et dépenses opérationnelles consacrés à la qualité de service pour les utilisateurs finaux.
Dans le paragraphe intitulé « Les enjeux sous-jacents : le financement des réseaux et le partage de la valeur », l’ARCEP omet de citer et de prendre en compte le financement des contenus et applications. Or dans l’échange entre PSI et FAI, il faudrait bien les prendre en compte puisque les contenus et applications des PSI sont la motivation des consommateurs à payer leurs abonnements d’accès aux FAI. Dans le partage de la valeur, peut-être faudrait-il prendre en compte également les revenus d’accès perçus par les FAI ? Pourquoi ne pas parler d’un tarif régulé de création du trafic IP (IP sourcing rate par opposition à IP termination rate) ?
Au passage, alors que les orientations précédentes comportent un principe de non discrimination vis-à-vis des PSI, il convient de noter que dans cette partie l’ARCEP n’hésite pas à déroger à ce principe en évoquant des mécanismes de seuil ou de proportionnalité aux termes desquels certains PSI seraient soumis à un tarif de terminaison d’appel data et pas d’autres.
En tout état de cause, la généralisation du peering payant au bénéfice des fournisseurs d’accès renchérirait d’autant le coût du transit et donc impacterait l’ensemble des PSI, quelle que soit leur taille. Bref, dans cette partie d.2.), l’ARCEP propose d’instaurer un péage sur les réseaux des fournisseurs d’accès.
L’ASIC a déjà eu l’occasion de souligner les risques d’un tel système de péage des acteurs de l’internet pour financer les réseaux des opérateurs. Ce système se mettrait en place au détriment de l’innovation qui a fait le succès de l’Internet. Il favoriserait les acteurs déjà en place et de taille importante.
Last but not least, si une telle régulation se mettait en place au niveau français, elle pénaliserait le développement des points de peering en France alors que notre territoire est déjà en retrait par rapport à des sites comme Londres, Amsterdam ou Francfort qui brassent actuellement des volumes de trafic IP plusieurs fois supérieurs. Or, il y a un enjeu stratégique à attirer des points d’échange de trafic IP sur le territoire français. Si une telle régulation était mise en place au niveau européen comme l’évoque l’ARCEP, c’est l’échange de trafic IP au niveau européen qui serait pénalisé par rapport aux autres zones d’échange de trafic IP à l’international, en particulier en Amérique du Nord.
Le lien repris par l’ARCEP entre la neutralité de l’internet et le financement des réseaux inquiète grandement l’ASIC. D’ailleurs, la piste évoquée par l’ARCEP ne figure pas dans les décisions adoptées par les régulateurs norvégien, canadien ou américain.
Sur la sixième orientation relative à la transparence des offres
L’ASIC soutient l’orientation proposée par l’ARCEP au bénéfice des consommateurs. La transparence est naturellement un facteur clé pour faire jouer ensuite la concurrence (si c’est possible…).
En parallèle de la transparence demandée aux fournisseurs d’accès, il peut être intéressant de construire des outils donnant aux consommateurs des moyens d’observation de leur accès. En effet, ces outils peuvent venir compléter la transparence des conditions d’offre des fournisseurs d’accès par une observation en pratique au jour le jour. Ainsi aux Etats-Unis et plus récemment en Australie, le Measurement Lab (www.measurementlab.net) offre la possibilité aux internautes de conduire plusieurs tests sur leur connexion.
Sur les autres dimensions de la neutralité évoquées par l’ARCEP
Sur les autres dimensions de la neutralité, l’ARCEP sort de son terrain de compétence, mais l’ASIC est globalement en phase avec les enjeux évoqués par l’ARCEP. L’ASIC se limitera à partager avec l’ARCEP son analyse sur les téléviseurs connectés et sur le régime s’appliquant à l’ensemble des contenus, en particulier sur les possibles mesures législatives imposant un filtrage au niveau des réseaux.
Sur les téléviseurs connectés
Sur les téléviseurs connectés, l’ARCEP semble présenter les fournisseurs d’accès comme des « victimes » potentielles. Par exemple, l’ARCEP s’inquiète d’accords conclus sans la participation des opérateurs. Or, le modèle ouvert de l’internet qui a fait son succès repose précisément sur une innovation ne nécessitant pas la permission des opérateurs de réseau.
Si l’ASIC estime qu’il y a bien un enjeu lié au développement de la télévision connectée, il ne se situe pas là où l’ARCEP semble le dessiner. L’enjeu est de répliquer le modèle ouvert sur le téléviseur, un modèle ouvert notamment vis-à-vis des fournisseurs d’accès ou des chaînes de télévision qui contrôlent aujourd’hui la diffusion de contenus sur le téléviseur. Comme pour l’internet fixe ou mobile, l’ASIC estime que permettre l’accès des utilisateurs au foisonnement d’applications et de contenus présents sur le web sera un facteur clé du succès des téléviseurs connectés. A ce titre, l’intégration d’un navigateur au sein des téléviseurs est un gage d’ouverture et de neutralité puisque permettant d’accéder à l’ensemble d’internet. A contrario, le risque réside dans des modèles – matérialisés par certains accords entre éditeurs installés de contenus audiovisuels et équipementiers – fermés sur des bouquets de services, via des standards qui nécessitent une adaptation d’un site web pour pouvoir être accessibles depuis les téléviseurs en question.
Sur le régime applicable à l’ensemble des contenus et en particulier sur les dispositifs de filtrage au niveau des réseaux
L’ASIC salue la démarche de l’ARCEP visant à rappeler que les contenus sur internet « ne se trouvent pas sur un espace de non droit ». Comme le souligne l’Autorité et contrairement aux déclarations qui ont pu fuser ici ou là récemment comparant internet au « far west », un arsenal juridique est en place au niveau européen et français qui régule les contenus sur internet.
L’ASIC souhaite également profiter de la référence faite par l’ARCEP aux mesures de filtrage déjà votées ou en projet en France. Comme le fait remarquer l’Autorité, toute mesure de filtrage porte atteinte à la neutralité des réseaux.
La directive européenne sur le commerce électronique a posé le principe d’absence de surveillance des réseaux par les opérateurs de télécommunications. Le dispositif de blocage constitue un risque de porter atteinte à ce principe essentiel de neutralité vis à vis des contenus et correspondances privées transportés sur les réseaux. Par conséquent, un dispositif de filtrage ou blocage doit bien être considéré comme exceptionnel et limité définitivement à un cas extrême tel que la pédopornographie.
Dans le contexte du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) qui comporte une mesure de filtrage au niveau du réseau, l’ASIC a suggéré des pistes qui tout en maintenant l’idée du dispositif de blocage met en place quelques garde-fous destinés à éviter une contagion de la tentation du filtrage, la pente glissante vers une remise en cause généralisée de la neutralité des réseaux. Les principes suggérés par l’ASIC sont les suivants :
– Poser un principe de subsidiarité tel qu’il existe déjà dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique1. La solution la plus efficace face à un contenu pouvant justifier un blocage consiste à le faire purement et simplement retirer. Alors que le blocage par l’accès est contournable, un retrait par l’hébergeur rend le contenu en question tout simplement indisponible. Outre une plus grande efficacité, cette suggestion permettrait aussi de limiter la taille de la « liste noire », et ainsi le coût du dispositif, mais également le risque d’erreur dans les pages web placés sur une liste noire à filtrer.
– Localiser précisément les contenus à filtrer. Afin d’éviter les risques de sur-blocage, il convient de viser à la meilleure granularité possible dans la localisation des contenus à bloquer. Imaginons par exemple qu’une plate-forme de blog entière soit bloquée au motif qu’un blog relève de la « liste noire » ou encore qu’une plate-forme de partage de vidéos soit censurée dans son intégralité parce qu’une vidéo est passée à travers les mailles du filet et relève de la « liste noire ». Le risque de sur-blocage n’est pas théorique comme en témoigne les cas de membres de l’ASIC bloqués dans des pays plus ou moins éloignés de l’Europe.
A ce titre, il convient de rappeler la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision en date du 10 juin 2009 à propos de la possibilité, prévue par la loi « Création et Internet » de permettre au juge d’ordonner des mesures de filtrage en présence d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Les sages ont rappelé que les mesures doivent respecter la liberté d’expression et de communication et dans ces conditions, elles doivent être « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ».
– Prévoir une validation de la liste noire par une autorité judiciaire au terme d’une procédure contradictoire. Par sa décision en date du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a rappelé que toutes mesures susceptibles d’aboutir à un blocage de l’accès à l’internet se devaient d’être conciliées avec « l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ». En effet, « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
L’ASIC suggère que, dans le cadre du débat sur la neutralité de l’internet, les pouvoirs publics adoptent ces principes comme les garde-fous de toute mesure de filtrage au niveau des réseaux qui s’avèrerait justifiée. Ainsi les pouvoirs publics prendraient eux aussi des engagements destinés à préserver autant que possible la neutralité de l’internet !
A propos de l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC)
L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) est la première organisation française à réunir les acteurs du web 2.0 et vise à promouvoir le développement du « nouvel internet ». L’ASIC est présidée par Giuseppe de Martino, Directeur juridique et réglementaire de Dailymotion, et par Pierre Kosciusko-Morizet, Président directeur général du Groupe PriceMinister.
Contacts :
Giuseppe de MARTINO
Co-Président de l’ASIC
president@lasic.fr
Olivier ESPER
Trésorier de l’ASIC
contact@lasic.fr
Benoit TABAKA
Secrétariat général de l’ASIC
contact@lasic.fr