Créer un régime d’exception pour lutter contre le terrorisme ne signifie pas qu’il faut faire de la protection des libertés une exception
Paris le 24 juin 2014 – L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC), fondée en 2007 et qui regroupe les acteurs de l’internet communautaire, s’inquiète des dispositions de l’article 6 de l’avant-projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme que le Gouvernement français vient de notifier à la Commission européenne.
Le texte doit être présenté en Conseil des ministres ce 25 juin et discuté par le Parlement au cours de sa session extraordinaire au cours de l’été.
En effet, le Gouvernement propose de mettre en place une mesure de blocage administratif par les fournisseurs d’accès à l’internet, sans aucun contrôle par un magistrat indépendant, des sites internet et des contenus circulant sur Internet dès lors qui font de la provocation à la commission d’actes terroristes ou son apologie.
Alors que la question de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation est une priorité, le Gouvernement français pointe une nouvelle fois du doigt Internet et propose une mesure hautement attentatoire aux libertés.
Rappelons qu’encore très récemment, plusieurs membres du Gouvernement – dont Axelle Lemaire ou Fleur Pellerin et les membres du groupe PS de l’Assemblée nationale s’étaient opposés à toute mise en oeuvre d’un blocage par les fournisseurs d’accès à l’internet et sans passage préalable par le juge des sites Internet.
L’ASIC s’étonne de la réapparition de cette mesure au sein de ce projet de loi et rappelle sa demande de moratoire sur toute nouvelle mesure susceptible de porter atteinte aux libertés. Il est nécessaire de réfléchir tous ensemble à des mesures susceptibles d’être plus efficaces notamment en travaillant au plan Européen dans le cadre de la “stratégie anti-radicalisation”.
Comme nous l’avons à plusieurs reprises rappelé, la volonté de l’ASIC et de ses membres de lutter contre la présence de contenus illicites sur la toile est totale. Chacun des membres de l’association coopère de manière étroite avec l’OCLCTIC, équipe qui fait un travail remarquable et qui doit être saluée.
Concernant le principe même du blocage de site internet, l’ASIC souhaite d’abord rappeler que le retrait des contenus auprès des hébergeurs demeure la seule solution réellement efficace. Les dispositifs de blocage par l’accès sont contournables.
En outre, l’ASIC considère qu’une prise de conscience sur les enjeux liés à un dispositif de filtrage est nécessaire : une telle mesure risque de porter atteinte au principe essentiel de neutralité des réseaux. La mise en place de dispositifs de blocage doit donc être considérée comme exceptionnelle et limitée exclusivement aux contenus pédopornographiques et ne doit pas être étendue. En effet, elle nécessite la mise en oeuvre de technologies intrusives de la part des opérateurs (DPI pour Deep packet inspection), technologies capables d’analyser finement les contenus circulant sur leurs réseaux.
Enfin, l’ASIC relève que cette proposition de blocage sans passage préalable par le juge est contraire aux principes posés par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel avait validé des dispositions qui “ne confèrent à l’autorité administrative que le pouvoir de restreindre, pour la protection des utilisateurs d’internet, l’accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie infantile”.
Seul un juge doit être en mesure d’ordonner une mesure de blocage d’un site internet tant cette mesure est susceptible (i) d’avoir des effets de bords non désirés (notamment quant aux dommages collatéraux générés par la mesure de blocage instaurée) et ainsi (ii) de porter atteinte à la liberté d’expression.
L’ASIC demande donc que le Gouvernement suive les engagements pris par plusieurs de ses membres, y compris devant la représentation nationale, et suspende l’adoption de toute nouvelle mesure destinée à instaurer un filtrage des contenus Internet sans un contrôle préalable par un magistrat.