L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC – www.lasic.fr) est la première organisation française à réunir les acteurs du web communautaire et vise à promouvoir le développement du « nouvel internet ». Elle a été fondée en décembre 2007 par AOL, Dailymotion, Google, PriceMinister et Yahoo! qui ont été rejoints depuis notamment par blogSpirit, Deezer, Ebay, Ebuzzing, Exalead, Facebook, Microsoft, Skype, Skyrock, Spotify ou Wikimedia.
L’ASIC se félicite de l’initiative du gouvernement de lancer une consultation publique sur le sujet de la révision du règlement international sur les télécommunications lors de la conférence mondiale des télécommunications internationales et souhaite apporter sa contribution.
Internet constitue aujourd’hui un incroyable moteur pour la croissance économique et un instrument pour la liberté d’expression et la créativité à l’échelle mondiale. En France, l’étude de McKinsey portant sur l’impact d’Internet sur l’économie du pays a révélé qu’Internet représentait 3,2 % du PIB en 2009 et 20 % de la croissance française entre 2004 et 2009. D’ici à 2015, le web pourrait représenter jusqu’à 5,5 % du PIB français. L’étude montrait également que les petites et moyennes entreprises qui utilisaient Internet se développaient et exportaient beaucoup plus que celles n’ayant pas ou peu d’activité sur Internet.
Cependant, le potentiel que constitue Internet – en tant que vecteur de croissance, de connaissance et de diffusion culturelle et de promotion de la liberté d’expression – ne doit pas être tenu pour acquis. Dans le monde entier, des régimes non-coopératifs mettent en place ou proposent des mesures pour contrôler l’Internet ou restreindre la liberté d’expression. Aujourd’hui, pas moins de 40 gouvernements censurent Internet. Ils étaient 4 en 2002. Les chiffres ne sont pas encourageants.
La Conférence mondiale des télécommunications internationales qui se déroulera au mois de décembre 2012 (CMTI-12) représente un défi pour l’avenir de l’Internet. Un certain nombre de propositions visant à réviser le Règlement des Télécommunications Internationales (RTI) seront avancées. Certaines peuvent représenter une menace majeure pour l’Internet tel que nous le connaissons car elles pourraient marquer un tournant dans sa gouvernance, nous dirigeant progressivement vers un système centralisé et fermé.
Attachée au principe d’un Internet ouvert et à une gouvernance multi-acteurs de ce dernier, l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) souhaite faire part de ses vives inquiétudes au sujet de la menace que pourrait constituer la révision du RTI pour l’avenir de l’Internet.
Pour la réponse à la présente consultation, l’ASIC a souhaité apporté ses commentaires sur les principes et lignes directrices de la France proposées en Annexe 2 de la consultation, et plus généralement, apporter ses commentaires sur la révision du RTI.
Les principes préconisés par l’ASIC dans le cadre de la prochaine Conférence mondiale des télécommunications internationales
Dans la perspective de cet événement et à la lumière des inquiétudes soulevées dans ce document, l’ASIC invite le gouvernement français à tenir compte des principes suivants afin de garantir un environnement favorable au développement de l’économie numérique:
- Maintenir un cadre international “basique” et simple : maintenir la structure actuelle du RTI et se concentrer seulement sur les principes directeurs. En cela, l’ASIC accueillle favorablement la proposition de la France de rappeler le principe selon lequel “le RTI doit rester un traité de haut niveau, contenant des principes stratégiques et généraux sur les questions des télécommunications internationales”.
- Se limiter au secteur des télécommunications : le RTI ne doit pas élargir ses compétences aux contenus, à l’Internet ou à d’autres problématiques relatives aux technologies de l’information et de la communication. Celui-ci doit au contraire se limiter aux principes directeurs ayant trait aux télécommunications internationales.
- La neutralité de la technologie : éviter les propositions portant sur un domaine technologique spécifique, lequel nécessiterait une actualisation du RTI tous les deux ou trois ans.
- Des normes volontaires, pas obligatoires : s’assurer que la fonction normative de l’UIT – en particulier le Secteur de la normalisation des télécommunications (UIT-T) – repose sur une base volontaire et ne soit pas intégrée dans le RTI. En cela l’ASIC soutient la proposition du Gouvernement français de faire en sorte que “les recommandations de l’UIT ne devraient pas être d’application contraignante”.
- Eviter l’argument sécuritaire : veiller à ce qu’aucune question relative à la sécurité ne soit traitée et à ce que l’UIT ne joue pas de rôle spécifique dans l’établissement de règles applicables en matière de cybersécurité ou de cybercriminalité – dès lors que d’autres institutions en sont chargées. En cela, l’ASIC accueille favorablement le principe selon lequel “les sujets liés à la souveraineté des Etats membres de l’UIT, notamment la cybercriminalité, la règlementation en matière de contenu, la sécurité et la défense nationales ne devraient pas être abordés dans le RTI”. A l’inverse, l’ASIC estime que le Gouvernerment français ne devrait pas proposer – comme il le propose dans l’annexe 2 à la consultation, d’inclure dans “les principes de haut niveau et généraux des thématiques liées aux télécommunications tels que (…) la cybersécurité”.
Sujets de préoccupation dans le cadre de la révision du Règlement des Télécommunications Internationales (RTI)
L’ASIC souhaite attirer l’attention du gouvernement français sur les sujets de préoccupation suivants.
Sur la nature légale des recommandations émises par l’UIT
Dans le cadre de la révision du RTI, des propositions proposent de donner un caractère contraignant aux normes techniques (i.e les « recommandations » de l’UIT-T) au lieu de ne fixer que des principes directeurs.
En effet, le RTI, qui a force de traité, est obligatoire pour l’ensemble des Etats signataires sauf si un pays exprime une réserve formelle à une disposition particulière. Les recommandations développées par le Secteur de la normalisation des télécommunications (UIT-T) ne sont, en revanche, pas obligatoires pour les Etats membres.
De nombreux Etats ont suggéré que les recommandations de l’UIT deviennent obligatoires pour les Etats membres, sans aucune réserve. Ce type de mesures contournerait le processus d’élaboration des traités et imposerait aux membres de l’UIT certaines règles alors même qu’aucune modification du traité n’aurait été adoptée.
Dans l’annexe 2 à la consultation, la France propose de s’opposer à ce souhaite et, au contraire, recommande de prendre en compte les principes suivants à savoir “le RTI doit rester un traité de haut niveau, contenant des principes stratégiques et généraux sur les questions des télécommunications internationales” et “les recommandations de l’UIT ne devraient pas être d’application contraignante”.
L’ASIC est convaincue que le RTI doit uniquement fixer un ensemble de principes directeurs et neutres sur le plan technologique. Définir une réglementation et des normes techniques (en matière de contenus ou sur l’échange de données) sur une base intergouvernementale entraînera automatiquement un ralentissement de l’innovation, une fragmentation de l’Internet et marquera un tournant pour le modèle de gouvernance actuel de l’Internet – basé sur un modèle multi-acteurs qui en a garanti son succès.
L’ASIC pense que le haut débit et Internet se sont développés grâce à la fixation par l’UIT de principes suffisamment généraux et directeurs centrés sur les réseaux de télécommunications internationaux. Imposer des contraintes plus précises pourrait affecter la croissance et l’innovation dans ce secteur en constante évolution.
Dans le paysage réglementaire actuel, les experts de l’industrie et les politiques nationaux travaillent pour développer des recommandations dans une démarche collaborative. Les méthodes en cours, perfectionnées au cours des 15 dernières années, permettent à toutes les parties prenantes de tenir compte des besoins du marché et des intérêts politiques.
Ne pas user de l’argument sécuritaire pour imposer une régulation plus large des contenus
L’ASIC reconnait que la sécurité des réseaux internationaux, la fraude, la protection des données et la protection de l’enfance sont des sujets de préoccupations légitimes pour les utilisateurs d’Internet.
Néanmoins, ces considérations importantes ne devraient pas être liées à d’autres fins politiques ou commerciales et sont également susceptibles d’aborder des environnements nationaux de manière plus appropriée que l’utilisation d’un traité international.
Or, plusieurs propositions ont été formulées dans le cadre de la discussion sur la réforme du RTI destinées à fixer des règles plus précises en matière de régulation des contenus notamment au regard des problématiques de cybersécurité, cybercriminalité, protection de l’enfance ou des données. Certaines de ces propositions ont été formulées par des Etats ayant notamment mis en oeuvre des systèmes limitant la libre circulation de l’information.
L’ASIC s’inquiète de cela. En effet, de telles propositions pourraient réduire le potentiel d’Internet comme instrument de liberté d’expression et de diffusion de l’information et des connaissances, ainsi que freiner l’innovation et la diffusion des nouvelles technologies.
L’ASIC recommande que le RTI ne soit pas étendu aux questions de contenu et devrait rester concentré sur de grands principes relatifs aux télécommunications internationales.
Toute participation de l’UIT dans des domaines tels que la sécurité devrait rester concentré sur son cœur de compétence, à savoir les télécommunications comme par exemple, en matière de protection physique des installations.
C’est pourquoi, l’ASIC accueille favorablement le principe proposé par la France selon lequel “les sujets liés à la souveraineté des Etats membres de l’UIT, notamment la cybercriminalité, la règlementation en matière de contenu, la sécurité et la défense nationales ne devraient pas être abordés dans le RTI”. A l’inverse, l’ASIC estime que le Gouvernerment français ne devrait pas proposer – comme il le propose dans l’annexe 2 à la consultation, d’inclure dans “les principes de haut niveau et généraux des thématiques liées aux télécommunications tels que (…) la cybersécurité”.
Internet demeure un puissant moteur de la croissance, précisément parce qu’il permet la libre circulation des données et des informations. Il convient que les travaux menés par l’UIT préservent les développements formidables offerts par le numérique.
Sur la question de la gouvernance d’Internet
Deux entités jouent un rôle important dans la gouvernance d’Internet. L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) gère l’adressage des adresses IP et la numérotation, l’attribution des noms de domaines, l’attribution des numéros de port d’application, et d’autres paramètres. L’ICANN dispose d’une fonction de répertoire central de sorte à ce que chaque fois que quelqu’un tape une adresse sur Internet, il est acheminé vers un seul et même endroit.
De son côté, créé à l’issue du Sommet mondial sur la société de l’informaiton (SMSI), l’Internet Governance Forum (IGF) offre aux acteurs des secteurs public et privé, y compris la société civile et le monde universitaire, la possibilité d’échanger des informations, soulever des interrogations, et de discuter au sujet des bonnes pratiques concernant la gouvernance d’Internet.
Des propositions ont été présentées destinées à transférer à l’UIT le soin de réguler Internet. Bien que l’UIT ait déjà un long historique dans la régulation des télécommunications, il n’existe aucune preuve que ce modèle réglementaire puisse être transposé à Internet, un réseau décentralisé de réseaux où le processus d’élaboration des normes s’appuie principalement sur des groupes d’ingénieurs passionnés.
L’ASIC reste convaincue que l’approche multi-acteurs de la gouvernance d’Internet a contribué à sa croissance fructueuse et devrait être encouragée à l’avenir. Plutôt que d’utiliser des organisations intergouvernementales comme l’UIT, qui manquent de transparence, pour développer une politique destinée à encadrer Internet, nous devrions nous concentrer sur la réforme de structures comme l’ICANN afin qu’elles soient plus ouvertes. Nous croyons également que l’UIT devrait entreprendre simultanément un plan de réforme structurelle pour améliorer sa propre transparence.