Afin de justifier le besoin de justice fiscale et, en conséquence, la création d’une taxe sur le chiffre d’affaires des acteurs du numérique, Bruno Le Maire, Ministre de l’économie, rappelle de manière régulière qu’il existerait 14 points de différence entre le taux d’imposition des acteurs du numérique et celui des entreprises traditionnelles, notamment des PMEs.
Or, il s’agit d’une fake news, ce qui est d’autant plus préjudiciable que cela nuit à la bonne information de la représentation nationale.
Ce chiffre soit disant de 14 points provient d’une étude mentionnée par la Commission européenne en amont du projet de directive sur la taxation des services numériques. La Commission reprenait à son compte les données produites par le Center for European Economic Research (ZEW) et indiquait que les entreprises traditionnelles s’acquitteraient d’un taux d’imposition de 23% contre, moins de 10% pour les entreprises du numérique.
Or, les chiffres de l’étude de ZEW, utilisée par la Commission européenne, reposent sur de simples estimations incluant de très nombreuses hypothèses non vérifiées. Comme le relevait un échange avec les services de la Commission, “The numbers in the study, however, are calculated as mere estimates based on a hypothetical investment project and a number of theoretical assumptions about the pre-tax rate of return of a hypothetical investment, real interest rates and different depreciation rates for a limited number of asset classes”.
Et cela avant de conclure que “these estimates do not reflect the real effective corporate tax rates of individual corporations that operate within and outside of the EU” (1).
Au regard de l’usage qui a été fait par la Commission européenne de ces chiffres, ZEW a publié une note venant préciser que l’interprétation donnée par l’autorité européenne était tronquée et totalement erronée. A l’inverse, ZEW affirme “l’idée que les entreprises du numérique paieraient moins que les entreprises traditionnelles […] ne correspond pas à la réalité” (2).
La Commission européenne est également venue rectifier le tir et a changé son fusil d’épaule quant à l’explication sur une différence de taux d’imposition entre les entreprises du numérique et les entreprises traditionnelles : “The IA [Impact Analysis] clearly acknowledges that this difference is driven by current tax policy that incentivises Research & Development. The difference in effective tax rates indicates that countries compete for this very mobile tax base, and this is the point made in the IA”.
Ainsi, la Commission européenne rejette l’idée qu’une entreprise du numérique aurait un taux d’imposition moindre. Pour elle, la différence observée est due au fait que les acteurs du numérique bénéficient d’avantages fiscaux en matière de R&D, dont les entreprises traditionnelles ne peuvent bénéficier.
Pour reprendre l’analogie faite par le Ministre de l’économie, si le boulanger du coin paye plus d’impôt, c’est lié à l’impossibilité pour lui de bénéficier du crédit d’impôt recherche !
A l’inverse, plusieurs études sont venues clairement expliquer que les entreprises du numérique – dans leur grande majorité – payent un taux d’imposition relativement similaire à la moyenne des entreprises dans les pays de l’OCDE.
ECIPE affirme ainsi que: “Statistics from across Europe indicate that they pay a five-year effective corporate tax rate (ECTR – the actual amount of tax a company pays) average of 29.1%, whereas traditional corporations pay a 27.8% ECTR.” (3)
L’Institut Molinari indique de son côté que : “S’agissant de la fiscalité réellement supportée par les grands du numérique américain – Google, Apple, Facebook et Amazon – l’analyse des résultats est sans appel. Elle contredit, là encore les ordres de grandeur dans le débat. Elle montre que les GAFA se sont acquittés de 24 % d’imposition sur leurs bénéfices mondiaux durant les 5 et 10 dernières années. Ce niveau de fiscalité, loin d’être anormalement bas, est légèrement supérieur à la fiscalité moyenne constatée dans l’OCDE.” (4)
Créer un sentiment d’injustice fiscale sur la base de données chiffrées qui n’ont pas été validées, vérifiées et dont la conclusion est contredite par l’auteur même de l’étude semble de nature à altérer les discussions au sein de la représentation nationale.
(1) http://www.europarl.europa.eu/doceo/document//E-8-2018-005509_EN.html
(2) https://www.zew.de/de/presse/pressearchiv/eine-digitalsteuer-fuer-europa-belastet-unternehmen-unnoetig-mehr-und-ist-nicht-im-interesse-deutschlands/
(3) https://ecipe.org/blog/plucking-the-digital-goose/#_ftn1
(4) http://www.institutmolinari.org/la-taxation-francaise-des-services,3646.html